Le secret des coeurs (Yuki)

Yuki continuait son chemin sans but. Depuis qu'elle avait été maudite, elle n'avait plus vraiment de rôle, hormis souffrir jour après jour de sentir la malédiction faire son chemin. Comme quoi, c'était peut-être injuste que cela ne soit pas elle qui décidait de son destin, mais au moins, elle savait quoi faire. La liberté était difficile. Elle comprenait qu'à être libre, on ne sait plus quoi faire, on est perdus, comme un enfant auquel on ne donne pas de consignes. Alors, comme ces gens libres et sans éducation morale, elle laissait libre cours à ses pulsions de mort, en tant que déesse du Mal.

Mais elle essayait de ne pas y penser. D'abord parce que c'était avouer qu'elle ne pouvait pas agir sans être régi par les dieux et ensuite parce qu'elle avait encore une once de morale qui l'empêchait de devenir la déesse du Mal. Elle voulait juste qu'on la déteste, mais quand elle n'était pas en présence de quelqu'un, elle était bien décidée à rester une bonne personne. Encore plus quand un enfant était à sauver.

Quand elle arriva devant la tour, un mot lui vint aussitôt à l'esprit: "réponse". Yen Sid était réputé pour sa sagesse. Il saurait peut-être l'aiguiller. Elle avait juste peur qu'il lui dise ce qu'elle ne voulait pas entendre.

Malgré cela, elle monta les escaliers, marche par marche, lentement, raide comme une saillie, bougeant à peine ses bras. Quand elle fut en haut, elle fut surprise de trouver quelqu'un, qui n'était sûrement pas Yen Sid, devant une porte enchantée, l'arme à la main, prêt à défoncer la porte. Yuki se contenta de répliquer sans brutalité.

-A ta place, je ne ferais pas ça Dit-elle sans laisser apparaître le moindre sentiment. Elle regardait l'homme de ses yeux froids sans s'énerver. Ce n'était ni une menace, ni un vrai conseil dans sa voix. C'était tout au plus une remarque, presque pour signifier sa présence.

Yuki n'appréciait pas vraiment le ton désinvolte de cette personne qui qu'elle fut. Dans son cœur, elle trouvait que cet homme devait être le genre de personne qui pourrissait le monde, une des ordures qui le polluait. Elle se contenta de le regarder sans parler. Il se présenta, non sans fierté. Elle haussa les épaules doucement.

-Lord ? Eh beh. Et dans quel lieu tu verrais une femme comme moi ?

Elle s'avança, dépassa Dark Walker pour se placer devant la porte en ignorant ses questions. Elle resta silencieusement à regarder la porte, mais comme elle ne voulait plus entendre les questions précédentes revenir, elle préféra poser un ultimatum, à sa manière si proche de celle d'un robot:

-Questions inutiles. Réponses inutiles. Tu n'as rien à savoir de moi.

Yuki continua à fixer la porte comme si elle essayait de voir comment elle pouvait entrer. En même temps, elle se disait que si elle entrait, elle laissait entrer Dark Walker, ce qu'elle ne voulait pas. Si cet homme ne pouvait pas entrer, il devait y avoir une raison. Donc elle cherchait surtout une solution pour entrer sans laisser le champ libre à cet homme louche. En attendant, l'homme ne semblait même plus exister pour elle. Sauf dans ses pensées qui continuaient à lui signifier de se méfier de lui.

Yuki vit l'homme fracasser la porte. Elle ne savait pas bien si c'était une bonne ou une mauvaise nouvelle. Quand elle vit qu'il ne tentait rien de dangereux vis à vis de Yen Sid, elle décida de ne rien faire. Elle avait juste besoin de Yen Sid vivant. Le reste, elle s'en fichait. Qu'il fasse ce qu'il avait besoin de faire, elle attendrait son tour. Elle n'interviendrait que si la vie de Yen Sid était en danger. Pas par devoir, juste par intérêt.

Elle se contenta donc de s'adosser au mur prêt de la porte, les bras croisés, les yeux mi-clos, la tête baissée.

-Le problème avec nos ennemis morts, c'est qu'ils ont un peu trop tendance à revenir. Fit-elle comme simple remarque à ce qu'il se disait.

Elle savait un peu trop ce que la mort voulait dire. En tout cas, elle n'avait jamais eu à ramasser l'âme de cet homme, donc elle ne pensait pas qu'il soit mort une seule fois. Ou peut-être avant elle. Elle espérait que lorsqu'elle mourrait (si seulement c'était possible) qu'elle ne reviendrait pas.

Elle savait aussi que les âmes revenaient à la vie de temps à autre et souvent, trop souvent ces temps-ci. Zarxnos et Emiri en avaient fait les frais et avait par deux fois manqué d'en souffrir énormément par la faute de Stain. Elle espérait trouver une solution pour cette faille dans la vie et la mort avant de partir.

Yuki ne réagit pas quand elle vit tout ce qu'il se passait devant elle. Elle resta stoïque sur son mur à attendre que leur "entrevue" se finisse. Elle ne réagit pas plus quand le livre brûla, que l'homme précisa ce qu'il avait l'intention de faire. Au final, l'homme ignorait le nom de la dernière personne et ce n'était plus mal. L'homme la guetta du regard tandis qu'il s'éloignait vers le balcon. Yuki se contenta de fixer l'homme sans rien dire, ni même montrer la moindre émotion. Peut-être juste une petite lueur de mépris.

Yen Sid se tourna vers elle à son tour et l'exhorta d'arrêter Lord Dark Walker. Yuki n'en fit rien. Elle resta sur ses positions, décidée à ne pas intervenir.

-Ce n'est pas mon histoire.

-Yuki. Fais quelque chose.

Yuki détourna son regard de la scène et fixa vaguement les étagères remplis de livres.

Yuki ne répondit pas aux sermons de Yen Sid. Ou en tout cas, elle ignora ce qu'il disait pour répondre autre chose.

-La recherche de l'immortalité. Encore un. Comme c'est futile. Je n'arrive pas à comprendre qu'on puisse vouloir vivre toute l'éternité, quand certains n'attendent que le jour de leur fin. Seule la fin compte, c'est ce qui donne un sens.

Yuki continua de fixer la bibliothèque.

-On ne se connaît pas, je crois.

-Mais moi si Yuki. Et c'est en partie pour cela que je m'étonne de te voir laisser ce dangereux personnage s'enfuir.

-Je protége la reine, pas les mondes. Il n'y a plus rien auquel je tienne qui reste à protéger.

-Et tu refuses de trouver quelqu'un d'autre ou quelque chose d'autre à protéger. Tu fais toujours obstruction à ce qui pourrait rendre un sens à ta vie.

-A quoi ça servirait ? Puisque je suis censée mourir bientôt.

-Et pourtant ce jour n'est pas encore venu. Pour beaucoup la mort est proche. Elle l'est toujours, parce qu'on ne sait jamais quand elle viendra. Cela ne doit pas empêcher de vivre.

Yen Sid s'était calmé et s'était rassis sur sa chaise, derrière son bureau, apparemment fatigué.

-Ces princesses ne me préoccupent pas. Il y a toujours quelqu'un pour les sauver. Ce quelqu'un, ce n'est pas moi.

-Un pari risqué. Arrêtons avec ça. Pourquoi es-tu venue ?

-Pour des réponses. On ne cesse de s'attacher à moi. Et à présent, ma mort est proche puisque je suis maudite, dit-elle en passant sa main sur ses chaînes dessinées sur sa peau. -Vous qui savez tout, que suis-je censé faire ? Je n'ai plus de monde, plus de reine... Et j'ai le Mal en moi. Ce qu'il me reste, disparaître en attendant la fin ou me battre, me faire haïr pour que personne me regrette. Devenir la déesse du Mal.

-Tu as toujours quelque chose que tu veux défendre.

Yuki se tourna vers lui, surprise (intérieurement, car hormis qu'elle se soit tourné vivement vers lui, elle affichait toujours un visage froid).

-Je me trompe ?

Elle repensa à Mélodie, amèrement.

-A moins que même les enfants ne vaillent pas la peine de se battre.

Yuki resta silencieuse.

-Tu n'as plus de monde, alors accroche tes racines dans le cœur de cette enfant. Pleurer pour la mort de quelqu'un n'est pas une mauvaise chose. Tu ne dois pas assécher les cœurs des autres en les privant de larmes. Elles sont toujours bénéfiques, elles lavent l'âme et le cœur. Accroche tes racines en elle. Elle a autant besoin que toi de nouvelles personnes sur lesquelles se reposer.

Yuki resta silencieuse et s'éloigna peu à peu, passa la porte lentement, sans répondre. Elle descendit toutes les marches. Une fois en bas, elle déploya ses ailes et s'envola sans bien savoir quoi faire. Ce pourquoi, elle voltigea un peu au hasard dans les airs, sans s'élever trop haut, jouant rêveusement avec les nuages.