Le Premier Rouage [Montagnes Hurlantes / PV : Dmitrii]

Les Montagnes Hurlantes portaient bien leur nom.
Elles n’avaient pas été nommées ainsi parce qu’elles disposaient d’une corde vocale, non ; mais parce que le vent, en balayant leurs parois escarpées, en soufflant sur leurs pointes acérées et en s’engouffrant dans leurs cavernes lugubres, produisait une longue et douloureuse plainte, laquelle n’était pas sans évoquer le hurlement de quelque supplicié.
… Ou d’un malheureux grimpeur lors de sa chute dans le vide.

Outre sa capacité acoustique, le vent qui ravageait les Montagnes Hurlantes possédait une autre propriété : puissant, chargé de particules de neige, il était glacial. Mordant. L’affronter relevait du courage. Ou de la folie, c’était selon.
Et pour être honnête, Senjougahara s’en moquait éperdument ; à l’heure actuelle, sa seule et unique préoccupation était de se réchauffer auprès du feu qui éclairait leur grotte.
Leur, car ils étaient deux : le jeune homme aux cheveux miel et à l’écharpe écarlate, ainsi que son taciturne compagnon, un adolescent aux cheveux blancs et aux yeux dorés.

Senjougahara remonta le col de son manteau de fourrure. Cela devait faire trois-quatre jours qu’ils voyageaient ensemble. L’adolescent aux cheveux miel pour une Pièce de Rechange et pour le goût de l’aventure, et l’autre… ben… Sans doute pour une raison quelconque. En fait, Senjou n’en savait rien. Oh, il était loin d’être innocent dans cette histoire : il n’avait jamais vraiment témoigné d’intérêt pour son compagnon aux cheveux décolorés. C’était son guide, son compagnon, rien de plus. Un garçon un peu cynique, un peu moqueur, un peu prétentieux.
Un con, quoi.
Pour un garçon tel que Senjougahara, si prompt à se faire des opinions bien tranchées et si enclin à rester dessus, c’étaient des raisons suffisantes pour ne pas vouloir lui adresser la parole.
Ceci étant dit, il devait bien admettre que Dimitri (« D’mitri ? Dimitriii ? ») était un spécialiste pour tout ce qui concernait les montagnes, et les grands froids. Choses qui n’existaient, a priori, guère sur Etherrance.

C’est pour cela que ce soir-là, le blondinet décida de prendre la parole en ces termes :
- Et sinon, tu viens d’où ?

"J'me fais chier, cracha un diablotin sur l'épaule de Dmitrii.
- Ouais, ben, t'es gentil, tu te fais chier en silence ! pensa l'adolescent.
- Quel manque de courtoisie, dit le deuxième diable en se curant les ongles.
- C'est d'avoir quitter l'autre blondasse qui te rend si... Irascible ?
- N'importe quoi !" leur répondit le garçon dans sa tête.

Il se frictionna les bras et se surprit à réfléchir à la question. Est-ce que Naminé lui manquait ? Il sentait bien qu'il aurait été mal à l'aise de rester plus longtemps avec elle, et prendre de la distance par rapport aux événements était bel et bien un besoin. Et pourtant... L'adolescent aux cheveux blancs sortit un poignard et se mit à l'aiguiser avant de se poser plein de questions qui allaient l'agacer parce qu'il n'en trouverait pas la réponse.

À présent, le hurlement lugubre du vent était accompagné du son lancinant que produisait la pierre à aiguiser sur le métal. Dmitrii inspira profondément et se sentit apaisé. Ces montagnes et cette atmosphère lui rappelait ses origines. Le garçon avait fui tout cela de son plein gré, mais retrouver cette ambiance n'était pas désagréable.
"Ça me rappelle cette partie de chasse !
- Ah ouais, il avait fait super froid !
- J'avais du me transformer pour le réchauffer..." murmura Dmitrii, nostalgique.

Il repensait à sa vie et ce qu'il avait laissé derrière lui. Et ce froid, si mordant, lui rappelait cette nuit, si dure et si douce à la fois... Ah, que de souv...
" Et sinon, tu viens d’où ?"
Senjou avait bien choisi son moment pour briser la glace, tiens ! Dmitrii le fixa, agacé. Il se rapprocha du feu, et ainsi du garçon, et dit :
"Des montagnes gelées du baron d'Edregan."
Dmitrii fixa son poignard et l'idée de demander à son compagnon son origine lui vint alors à l'esprit. Il se racla la gorge, ouvrit la bouche et la referma. Non, mais attends, en fait, il me pose la question juste pour pouvoir raconter sa vie ! J'entrerai pas dans son jeu ! Et toc ! Il eut un rictus qu'il eut du mal à dissimuler et reprit l'aiguisement de son arme.

- Des montagnes gelées du baron d'Edregan, répondit Dmitrii, froid comme la glace qui tapissait les murs.
- Waw, génial… Marmonna Senjougahara, qui n’avait pas la moindre idée d’où cela pouvait bien se trouver.
Le silence revint, plus lourd encore qu’auparavant. Enfin, le silence : c’était plutôt une « lourde absence de conversation agrémentée du hurlement du vent et du bruit, entêtant, répétitif, aigu, usant, crispant, de la pierre à aiguiser sur la lame ».
Tête de con, songea Senjougahara en ramenant ses jambes contre sa poitrine.

Cette ambiance morose lui mettait les nerfs à vifs. C’est pour cela qu’au bout d’un moment, le jeune homme se leva, saisit une branche dont il enflamma le bout, et se dirigea vers le fond de la grotte.
- Bon, c’est pas que j’m’ennuie, mais quand même pas mal. Alors je vais me promener. Je reviens vite.


Senjougahara espéra que la caverne serait la plus profonde possible, de manière à fuir cet agaçant guide et sa calvitie précoce. Et sa schizophrénie avancée.
Nom d’un ballon percé, on n’a pas idée de s’embarquer dans une aventure pareille avec un type aussi chelou ! Songea l’adolescent. Si ça se trouve, il va tenter de m’égorger pendant la nuit avec son putain de couteau !
Le blondin se retourna un peu, et ramena son manteau sur ses épaules. Il pouvait toujours essayer, remarque ; après son court entraînement en Grèce, Senjougahara se sentait de taille à affronter une hydre.


La caverne n’était certes pas aussi vaste que ce qu’espérait Senjougahara, mais elle n’en restait pas moins assez grande. Ceci dit, la taille de leur refuge ne fut bientôt que le cadet des préoccupations de Senjou, lorsque ce dernier découvrit des couvertures sur le sol.
Le garçon à l’écharpe écarlate se figea, stupéfait. Le sol était jonché de boîtes, fioles et autres flacons, livres, cordes, grappins, et même les restes d’une lampe à huile brisée.
Ça alors… mais c’est habité, ici ! Le jeune homme fouilla les affaires. C’était habité ; au vu de l’état des aliments et du givre sur les livres, le locataire avait dû s’évanouir dans la nature quelques semaines auparavant. Voire plus. Senjougahara s’approcha de la lampe, laquelle reposait près d’un tonneau. Sur le tonneau était ouvert un livre, figé par la glace.
Du bout de l’ongle, Senjougahara gratta la couche d’eau cristallisée, et entreprit de lire ; l’écriture, grosse et ronde, était plutôt facile à déchiffrer – surtout si l’on la comparait à celle de Slavieus Gorgone – et l’adolescent put distinguer quelques mots. Et notamment les mots « Ruines anciennes », « au Nord d’ici », « civilisation ancienne » et « explorer demain ».

- Trop bien, murmura Senjougahara. Voilà donc où était parti l’explorateur : vers les Ruines anciennes. Le mot « ruines » suffisait à mettre Senjougahara en émoi, et le jeune homme se surprit à trépigner d’impatience à l’idée d’y aller à son tour.
Cependant, un détail chiffonnait le garçon : pourquoi diable être parti en laissant toutes ses affaires ainsi en plan ?
La question occupait tant l’esprit de Senjougahara qu’il ne repéra que tard la forme sombre qui s’était dressée dans son dos.
Trop tard.

Un hurlement ébranla la caverne, et fit tinter, en une sinistre mélodie, les stalactites de glace au-dessus de Dmitrii ; au fond de la caverne, Senjougahara criait.

... Et pour cause : la créature qui venait de le saisir à la taille était immense, bipède, et, surtout, dotée d'une impressionnante dentition en majorité composée de canines. Ses membres puissants étaient recouverts d'une toison blanche, et ses yeux ne reflétait que son envie dévorante de viande fraîche.
- Gentille peluche... Eut le temps de murmurer Senjou, avant que la poigne se resserre autour de ses côtes, le privant de tout souffle.

"Bon, c’est pas que j’m’ennuie, mais quand même pas mal. Alors je vais me promener. Je reviens vite."
Dmitrii jeta un coup d'œil au garçon tandis que celui-ci s'éloignait dans l'obscurité où brillait sa torche improvisée. Puis, il se remit à son ouvrage en fixant les flammes qui donnaient une teinte orangée à son regard jaune. L'adolescent aux cheveux blancs posa la pierre et admira la lame, plus tranchante que jamais. Beau travail. Il inspira et se concentra sur l'écho des pas de son compagnon qu'il ne pouvait plus voir. On aurait dit des battements de cœur. Ils s'arrêtèrent soudainement. Décidément, il a le don pour me couper dans mes pensées ! Soit il coupe le silence, soit il arrête le bruit... Il m'agace.
L'adolescent rangea sa lame et passa la main dans ses cheveux. Ce froid lui donnait envie de partir dans la montagne sous une forme... Un peu plus bestiale. Il commença à défaire les lacets de sa veste quand un cri lui explosa les tympans. Première leçon de survie en montagne : ne jamais crier au risque de provoquer une avalanche ou de se faire repérer par je ne sais quelle créature. Les stalactites tremblèrent au-dessus du garçon qui s'écarta vivement. Ah, oui, les stalactites aussi présentent un risque.
Dmitrii saisit le sac dans lequel il avait rangé son arme et courut vers le fond de la caverne. Il découvrit alors Senjougahara entre les griffes d'un monstre blanc. Qui n'avait pas vraiment l'air herbivore.
"Qu'est-ce que t'attends pour sortir ton arme ? demanda un diable.
- Tu peux peut-être sympathisé avec lui, il a pas l'air si différent de nous, dit le second.
- Pas cette fois, les gars" dit le garçon en se débarrassant de sa veste.
Tandis que les jambes de l'adolescent se chassaient mutuellement de plus en plus vite, la peau du jeune homme se distendait et se déchira bientôt sur une fourrure blanche. Le fauve bondit sur le monstre bipède, qui avait arrêté de fixer - du moins, de façon moins persistante - son futur repas aux cheveux de miel quand l'autre énergumène avait surgi de l'ombre. Le félin était un peu plus petit que son adversaire mais ses dents étaient puissante et le coup de mâchoire fit lâcher la bête Senjou. L'immense monstre porta alors un coup de griffe à Dmitrii, qu'il esquiva du mieux qu'il pût dans cet espace étroit pour deux bêtes de cette envergure. C'est-à-dire pas très bien : sa patte était en sang. Le félin grogna et s'élança à nouveau sur le monstre. Ses griffes éraflèrent un membre musclé de son ennemi qui avait réussi à s'écarter au moment propice pour ne pas voir son membre arraché. Dmitrii eut alors un rictus et, profitant de la courbure qu'avait prise son adversaire, il le mordit violemment à la gorge. La bête poussa alors ce qui ressemblait à un hurlement en tentant de se débarrasser du bestiau qui restait accroché à sa jugulaire.

Un combat des plus formidables se déroulait sous les yeux de Senjougahara, et ce dernier était incapable d’y prendre part, trop fasciné qu’il était. Le jeune homme avait le souffle coupé, au sens propre. Les griffes tranchèrent l’air, les mâchoires claquèrent, et, finalement, le monstre des neiges, surpris par une telle riposte, sembla hésiter à poursuivre le féroce affront.
Lorsque Dmitrii le mordit à la jugulaire, le locataire de la caverne hurla, repoussa le fauve blanc d’un violent coup de patte en s’en fut vers la sortie, traînant son membre ensanglanté derrière lui.

Quand Senjougahara se releva enfin, ce fut pour fixer le félidé avec méfiance. Mince, mais pourquoi tous ses compagnons de route étaient-ils, en réalité, de féroces et redoutables monstres ? N’y en avait-il donc pas un qui fusse ce qu’il semblait être ?
… Et du coup, va-t-il tenter de me becqueter, lui-aussi ? Songea soudain l’adolescent aux cheveux miel, peu rassuré.
- Dimitri ? Euh, le chat ? Questionna-t-il. Il avisa la patte du félidé : celle-ci saignait abondamment, maculant de rouge le pelage blanc. Senjougahara reprit alors la parole, d’une voix plus assurée : tu comprends ce que je dis ? Faut soigner ton truc, là... La patte, tu comprends ?

La bête prit la fuite en laissant derrière lui des flaques de sang. Dmitrii, qui avait été projeté sur le sol par le monstre, se releva et fixa l'adolescent aux cheveux blonds.
"Dimitri ? Euh, le chat ? Tu comprends ce que je dis ? Faut soigner ton truc, là... La patte, tu comprends ?"
Le fauve s'approcha du garçon, fit un mouvement de tête qui produisit un craquement plutôt désagréable à l'oreille et entrouvrit la gueule tapissée de crocs. Il grogna et se dirigea vers l'endroit où les garçons s'étaient installés. Là-bas, la bête reprit forme humaine et Dmitrii ricana :
"T'as eu peur de moi ?" demanda-t-il, avant d'émettre un petit gémissement et de serrer sa blessure avec son second bras.

Il attrapa du tissu, histoire d'éviter de choquer son partenaire et aussi pour se tenir chaud, et s'enveloppa dedans. Puis, il chercha dans ses sacoches un bandage ou quelque chose du genre, mais ne trouvant rien, il soupira. Il pensa à Naminé qui l'avait soigné avec la plus grande précaution alors qu'ils ne se connaissaient pas encore.
"Est-ce qu'il t'a cassé quelque chose ?" demanda l'adolescent en regardant son compagnon.

- Est-ce qu'il t'a cassé quelque chose ?
- Moi ? Tu déconnes, je suis solide, répliqua un Senjougahara hautain, tout en s’époussetant l’épaule.
… Pour rien au monde il n’aurait avoué qu’il avait mal aux côtes, et, surtout, qu’il avait bel et bien eu peur du félin.

L’adolescent regarda encore la blessure de son compagnon de route, puis, sans un mot, fila vers le fond de la caverne. Il en revint quelques secondes plus tard, des pièces de tissu entre les mains.

- Tu sais faire un garrot ? Fit Senjougahara en tendant les bandages de fortune à Dmitrii. Cependant que son compagnon se soignait, l’adolescent aux yeux délavés lui fit part de ses découvertes :
- J’ai trouvé un journal, dans la grotte ! Il devait appartenir à un explorateur, mais je crois qu’il s’est fait becqueter par le monstre qu’on a combattu à l’instant… En tout cas, il indique la position de ruines anciennes au Nord d’ici ! C’est cool, non ? Il y aura sans doute plein de trésors là-bas, et plein de trucs à découvrir… Le blondin regarda la boussole, elle aussi récupérée dans les affaires du malheureux explorateur. Donc ça veut dire qu’il faudra aller par… là. Senjougahara désigna une direction du doigt. Elles doivent pas être bien loin, et on est là pour ça, alors…

L’enthousiasme qui perçait dans sa voix contrastait avec la mélancolie dans son regard bleu ; pourtant, l’adolescent semblait réellement ravi d’aller visiter les ruines. Les ruines était synonymes d’aventure, de découverte, de trésors, et, pourquoi pas, d’une nouvelle pièce pour la Clé Ailée d’Or…

"Moi ? Tu déconnes, je suis solide"
Dmitrii regarda son compagnon et plus particulièrement son ventre, avant que celui-ci ne partît au fond de la grotte pour revenir avec des tissus.
"Tu sais faire un garrot ?"
Le garçon aux cheveux blancs remercia Senjou sans répondre à la question. C'est quoi, ça, un "garrot" ? Merde, je vais avoir l'air bête si je demande ! Il commença à envelopper son bras avec ce que lui avait apporté son compagnon, mais ne put bientôt plus continuer car le tissu s'était emmêlé. En fait, Dmitrii n'avait pas l'habitude de faire ce genre de chose... Et ça se voyait. Mais alors, vraiment beaucoup. Il galérait tellement qu'il avait déjà réussi - en à peine une minute - à nouer l'étoffe autour de son index droit. Et c'était son bras gauche qui était blessé. Naturellement. Il eut un regard vers le blondin qui dut le trouver pitoyable car il l'aida. Puis, le garçon aux cheveux dorés se mit à raconter ses découvertes avec un enthousiasme débordant.
"Merci pour le bandage... Moui, ça a l'air intéressant ! Ça marche, on ira visiter ça ! Est-ce qu'il y a une carte qui indique précisément l'emplacement de ces ruines ? Ou on doit se fier à cette boussole et à ton... Sens de l'orientation ?"

- Merci pour le bandage... Moui, ça a l'air intéressant ! Ça marche, on ira visiter ça ! Est-ce qu'il y a une carte qui indique précisément l'emplacement de ces ruines ? Ou on doit se fier à cette boussole et à ton... Sens de l'orientation ?
Senjougahara eut un mouvement de recul, choqué.
Quel con.
- NON, je n'ai pas de carte, et OUI, on va se fier à cette boussole et mon sens de l'orientation ! Tu crois quoi, que les explorateurs ont des cartes des endroits qu'ils vont découvrir ?

Fâché que l'on remette ainsi en question ses compétences en navigation, le jeune homme se leva et s'éloigna d'un pas rageur.
- Une carte... non mais je rêve ! gronda-t-il, outré.


Senjougahara avait un cœur de marin doublé d'une âme d'aventurier, et le fait de partir sans carte et avec pour seul indice un vieux carnet illisible était, pour lui, un acte normal et forcément voué à la réussite.


Après avoir attisé le feu, le jeune homme se roula en boule dans son manteau de fourrure, et ferma les yeux. Ils ne pourraient pas sortir ce soir, et cela désolait l'adolescent aux cheveux miel, qui mourrait d'envie de visiter les mystérieuses ruines.

Ne tenant pas en place, il finit par se lever pour étudier encore le carnet, et réunir du matériel utile dans le fond de la caverne.
La journée de demain promettait d'être fantastique... Et, avec un peu de chance, moins venteuse.

"NON, je n'ai pas de carte, et OUI, on va se fier à cette boussole et mon sens de l'orientation ! Tu crois quoi, que les explorateurs ont des cartes des endroits qu'ils vont découvrir ?"
Dmitrii regarda son compagnon partir, vexé et renfrogné. Il l'entendit grogner "Une carte... non mais je rêve !" et eut un sourire amusé. Décidément, Senjou était vraiment intrépide. Ça doit lui attirer des ennuis, quelquefois...
"Tu veux dire, plus qu'à toi ? ricana un diablotin.
- De quoi tu parles ?" pensa l'adolescent. Ce à quoi les diables répondirent par un éclat de rire.
Le garçon prit une moue vexée en entendant ces rires résonner dans sa tête. Puis, il suivit du regard son compagnon qui, après avoir attisé le feu, relut le carnet en piteux état. Dmitrii rejoignit Senjou dans le fond de la grotte et alors que ce dernier rassemblait du matériel, il lui dit :
"Bon vu que t'as pas l'air de vouloir dormir, tu prends le premier tour de garde. Avec la bestiole à laquelle on a eu à faire, vaut mieux rester sur nos gardes. Moi, je suis claqué, je vais pioncer. Réveille-moi quand tu veux dormir."
L'adolescent aux cheveux blancs retourna ensuite près du feu où il s'habilla - car il n'était qu'enveloppé dans une couverture - et il s'étendit sur une étoffe. Puis il se couvrit et ferma les yeux. ... Merde, il souffle fort, ce vent... Et Senjou fait du bruit, ça résonne... Pfff, je vais bien dormir, moi...

Le lendemain arriva bien trop lentement pour Senjougahara, qui ne tenait plus en place depuis son incroyable découverte dans les profondeurs de la caverne ; le jeune homme se montra même si impatient qu’il ne dormit pas de la nuit.
Le lendemain, cependant, le vent s’était calmé et le soleil brillait légèrement au travers des nuages, ce qui eut pour effet de remonter l’adolescent à bloc.

Senjougahara prit les devants, bien décidé à démontrer à son arrogant compagnon que son sens de l’orientation valait largement tous les grands explorateurs du monde – et même des mondes. Et, de ce fait, les deux ne mirent pas trop de temps à trouver les fameuses ruines.
Et Senjou fut loin d’être déçu :

Ruines :

-  Ça en jette, hein ? Lança l’ado aux cheveux miel avec un sourire triomphant. Alors, qui c’est qui doutait de mon sens de l’orientation ?
Sans attendre de réponse, le jeune homme s’élança, en courant, à l’assaut des escaliers.

Dmitrii fut surpris de la rapidité avec laquelle Senjou le mena jusqu'aux ruines. L'adolescent contempla alors les colonnes de pierres, les escaliers et les restes colossaux de bâtiments devant lui. Le tout couvert de neige et de givre. Magnifique. Jusqu'à ce que le garçon aux cheveux de miel vienne troubler cette neige immaculée en posant les pieds dessus. Il le fait exprès.
Le garçon aux cheveux blancs soupira. Il se mit en marche derrière son compagnon tout en observant son environnement. C'était impressionnant de se dire que cet endroit avait été un lieu de vie aussi vaste. En effet, les ruines s'étendaient sur une grande surface et on ne pouvait que penser que la neige en cachait davantage. Dmitrii huma l'air. Il faisait bien trop froid pour sentir quoi que ce soit. Il avait l'impression que le givre se mettait à recouvrir l'intérieur de son corps à cause de cette inspiration. Il toussota, frictionna ses épaules et se remit à marcher. Il sentit soudainement le sol se dérober sous ses bottes et il eut le temps de pousser un léger cri rauque avant de s'écraser sur de la roche. Les pierres sur lesquelles il avait marché avaient cédé sous son poids.
"Fais chier, cracha-t-il.
- Ben, alors, tu devrais pas tomber sur tes pattes plutôt, toi ? ricana un diablotin.
- Là, c'est plutôt ton cul qui a tout pris...
-Vous avez pas bientôt fini ?"
Il regarda le trou au-dessus de sa tête. Puis, il avisa le reste de son environnement. Il se trouvait dans une salle dont les murs étaient couverts de pavés. Son entrée était obstruée par des roches. Bon, ben, 'y a plus qu'à remonter. Il sautilla pour essayer d'atteindre le trou mais il devait se rendre à l'évidence : il n'était pas assez grand ! Il pesta contre ses parents intérieurement et finit par appeler timidement :
"Senjou ?"

Ces ruines doivent avoir des siècles ! Non, des millénaires ! Euh non, encore plus ! Oh bon sang et elles doivent regorger de trésors qui n’attendent que moi !
Senjougahara ne parvenait plus à garder son calme. Il avait envie de tout visiter, tout fouiller, et il ne savait par où commencer.
Ces pierres, inviolées depuis si longtemps, et ces colonnes que le vent avait érodées des années durant lui provoquaient des frissons de plaisir et d’excitation.
L’adolescent ne se souciait plus du froid, ou du vent : seul lui importait la beauté de la vue qui s’offrait à lui, et la réjouissante perspective d’explorer un terrain mystérieux et plein de promesses.

- Senjou ? Fit alors une petite voix derrière lui. L’adolescent aux cheveux miel se retourna, agacé et surpris. Mais il ne vit rien.
- … Dimitri ? Appela à son tour le blondin, intrigué. Son taciturne et insupportable compagnon avait-il par hasard trouvé le secret de l’invisibilité ?

Senjougahara comprit cependant lorsqu’il repéra le trou dans la neige. Il s’approcha, et laissa tomber sur Dmitrii un regard moqueur.
- Ben alors ? T’arrives pas à remonter ? Le jeune homme s’interrompit soudain en avisant la salle dans laquelle le félidé était tombé. Dimitri ! T’as trouvé les catacombes ! C’est génial !
Et, sur ces mots, le jeune homme se laissa tomber dans le trou, et atterrit en une impeccable roulade.
- Zut, c’est bloqué… Mais ça veut dire qu’il y en a d’autres ! Y’a peut-être une entrée autre part ! C’est encore plus génial ! Allez, on remonte !
Et, sur ces mots, Senjougahara sortit son pistolet à grappin, visa une colonne, et pressa la détente ; le grappin fusa hors de la pièce, son long filin derrière lui, et vint se planter entre deux pierres.
Puis, le blondinet se tourna vers son compagnon, et, après hésitation, lui tendit la main. Dmitrii n’étant ni très grand ni très épais, il ne gênerait pas le mécanisme, en principe.

"Eh ben, il aurait pu se moquer plus de toi...
- C'est pas un méchant ce gamin, dit un diable.
- Mouais, enfin, y avait des raisons de se foutre de notre gueule quand même, haha ! répondit le second.
- Il déborde d'enthousiasme en tout cas, c'est incroyable, pensa Dmitrii tandis que Senjou observait l'entrée bloquée de roches.
- Il ne peut pas tenir en place... Ça me rappelle quelqu'un, murmura un diable avec un sourire malicieux.
- Euh, attendez les gars, il fait quoi là ? se demanda Dmitrii en avisant la main que lui tendait Senjou.
- Crache dedans !
- C'est bon, je vais pas la refaire, tu me prends pour un gland ? Nan, il veut que je monte avec lui par le grappin mais...
- Ça fait un peu gay cette histoire, nyark nyark !
- N'importe quoi ! Je suis fidèle !
- Les chiens sont fidèles, pas les chats..."
Dmitrii leva les yeux au ciel et saisit la main de son compagnon. Celui-ci activa le mécanisme qui les remonta tous les deux à l'air libre, où des flocons épars flottaient.

La puissance du mécanisme du Pistolet à Grappin impressionnait toujours Senjougahara, qui ne s’en lassait d’ailleurs jamais. Les deux adolescents furent littéralement arrachés du sol, tractés à une vitesse fulgurante hors du trou, et projetés dans la neige molle. Senjou, pour sa part, se redressa en riant ; la vitesse l’excitait aussi sûrement que du concentré de café.
- Bon allez, on va trouver une autre entrée, fit le jeune homme aux cheveux miel en s’époussetant.

Les ruines étaient vastes, et, comme la plupart des mondes, peuplées de Sans-Cœurs. Cependant, ni Senjougahara ni Dmitrii n’eut trop de mal à venir à bout de ses adversaires.
Mais au bout de quelques minutes, les deux jeunes hommes trouvèrent enfin ce qu’ils cherchaient ; ensevelie sous des couches de neiges, cachée des regards indiscrets, se trouvait l’entrée des catacombes. Senjougahara y passa le premier.

Les catacombes étaient, bien qu’à moitié effondrées, grandes, vastes même, et probablement propices à l’égarement.

Thème musical ♪ Howling Mountains Catacombs:

Par chance, les nombreux éboulis et autres trous dans le plafond rendaient les corridors assez éclairés ; en contrepartie, la progression était souvent entravée par de tas de gravats.
Hélas, les couloirs étaient également vides, et, même si le simple fait de visiter des ruines emplissait Senjougahara de bonheur, l’idée de repartir les mains vides lui laissait un arrière-goût amer.
... Et surtout, bien qu'il s'agît de catacombes, il ne restait plus aucune trace des morts.

- Il doit y avoir un étage inférieur, fit Senjougahara tout en regardant le sol. Faut chercher des escaliers qui descendent.

Dmitrii avait gardé son épée en main. Hors de question de se laisser à nouveau surprendre par ces saloperies de Sans-Cœurs. Les deux compagnons avançaient dans la neige froide. Bientôt, ils atteignirent l'entrée des catacombes, où ils s'engouffrèrent.
Le garçon aux cheveux blancs scrutait la roche érodée tout en évitant les rochers au beau milieu des couloirs. Il toucha un mur. Froid. Compact. Plus bien solide quand même, si on arrive à l'abîmer, tout se cassera très vite. Il retira sa main en inspirant.
"Il doit y avoir un étage inférieur. Faut chercher des escaliers qui descendent."
Dmitrii acquiesça et les adolescents continuèrent à marcher jusqu'à une intersection.
"Si tu veux descendre, on prend à droite, ça a l'air plus humide, c'est sûrement plus profond."
Il s'engagea dans le couloir de droite. Ce dernier était bien plus sombre que les autres qu'ils avaient parcourus jusqu'à présent ; les trous dans le plafond se faisaient plus rares et le sol était de moins en moins sec. Après quelques mètres, les garçons firent face à un escalier. Qui descendait.

Senjougahara avisa l’escalier qui s’enfonçait dans les ténèbres ; l’air qui s’en exaltait était froid, humide, et saturé par l’odeur de renfermé.
Il hocha la tête, impressionné.
- T’as du flair, Mistigri, lâcha-t-il avec dédain, comme pour masquer son admiration. Ce qui était, d’ailleurs, vraisemblablement le cas.

L’adolescent aux cheveux blonds posa prudemment  un pied sur la première marche, puis l’autre ; la pierre était froide et glissante, et la pente, abrupte. Les deux jeunes hommes durent progresser lentement et précautionneusement pour ne pas risquer de tomber.

Hélas, et en dépit de son pied marin, Senjougahara ne put empêcher la semelle lisse de sa botte de glisser sur une plaque de verglas. Dans un geste désespéré, le jeune homme s’agrippa au col de Dmitrii, ce qui eut pour effet désastreux de faire chuter les deux adolescents droit dans les profondeurs des catacombes.

La descente fut rude, et l’arrivée le fut d’autant plus que les deux aventuriers s’écrasèrent l’un sur l’autre.
Senjou, qui avait eu tellement peur qu’il n’avait pas été en mesure de produire un son, se leva en tremblant.
- … Wow, finit-il par dire, ce qui se rapportait autant à la cascade qu’il venait d’accomplir qu’à la découverte qu’il venait de faire : devant les deux jeunes hommes s’étalait une large salle circulaire, dont les murs de pierre s’ornaient de colonnes. La température y était des plus froides, car la salle était loin sous terre. La lumière, pâle et diffuse, semblait émaner de la glace qui recouvrait les murs en de splendides arabesques de givre.
Quelle peuplade avait pu bâtir pareil édifice ? Quel âge pouvait bien avoir ce Sanctuaire si longtemps inviolé ?

Au centre de la pièce trônait un piédestal, que Senjougahara trouva particulièrement familier.
- Hey, regarde ça… Murmura-t-il avant de s’avancer vers le socle de pierre.
Bien sûr, Dmitrii ne pouvait savoir de quoi il s’agissait ; mais pour l’adolescent aux yeux délavés, ce piédestal n’était autre que le jumeau de celui sur lequel il avait trouvé la Clé Ailée d’Or, et de celui dans le Temple mystérieux visité avec Camille Skyloft.
Et pour une obscure raison, il en existait un ici aussi.
Senjougahara fronça les sourcils. Est-ce que cela voulait dire que la Clé était un objet millénaire ? Est-ce que Slavieus Gorgone, l’écrivain de la notice du bracelet, était venu ici aussi ? Ou l’avait-il trouvée là ?

Il ne put, hélas, poursuivre son raisonnement, car un son étrange, comme des milliers de fenêtres de verre volant en éclat, se fit entendre ; brutalement, une présence, que l’adolescent avait totalement négligée, s’extirpa d’un mur de glace au fond de la pièce.
Des autres murs s’arrachèrent d’immenses blocs de glace dont la forme évoquait des pieux, lesquels vinrent flotter autour de la forme centrale.

Thème musical ♪ Crystal Trap:

Senjougahara regarda avec fascination et terreur ce magnifique et mortel ballet qu’effectuaient les blocs de glace.
Il ne réagit guère lorsque ces derniers s’assemblèrent au-dessus de sa tête.
Il ne réagit guère plus lorsque le premier pieu de glace se laissa tomber, avec lourdeur, sur lui.

Les yeux du jeune homme ne reflétaient plus que sa mort imminente.

Quand le jeune homme aux cheveux blancs se sentit tiré par le col, il n'eut le temps de se rattraper à rien. Senjou entraîna son compagnon dans sa chute. Celle-ci fut douloureuse et terminée par un choc sur le sol qui liait les adolescents dans une position douteuse. Jusqu'à ce que le garçon aux cheveux miel se dégageât de Dmitrii et contempla leur nouvel environnement. Le garçon aux cheveux blancs l'imita bientôt et avisa la pièce circulaire au centre de laquelle se trouvait une sorte de socle qui sembla intriguer Senjougahara.
Tandis que son compagnon observait le piédestal, Dmitrii observait les magnifiques dessins formés par la glace sur les murs. Il avait l'impression que les parois de roches étaient parcourues de chemins sinueux microscopiques, comme si des insectes s'étaient amusés à les dessiner en enchaînant savamment les virages sur les murs.
"T'as raison, ils avaient que ça à faire !" se moqua un diable.
Soudain, un bruit crispant se fit entendre. Celui du vers qui se brise. Un verre qui tombe. Se fracasse sur le sol. Déverse son breuvage chaud sur les dalles. Dmitrii fit volte-face en direction du bruit et marqua une pause. Comment ne pas se figer devant un tel spectacle ? D'énormes blocs de glace s'étaient animés pour entourer le garçons aux cheveux de miel.
"Putain d'glaçons ! laissa échapper un diable.
- Senjou..." murmura Dmitrii alors qu'un pic venait de s'abattre sur le jeune homme au centre de la pièce.
- Bouge-toi !!! gueula le second diable.
- Les autres glaçons vont s'abattre sur lui, qu'est-ce que t'attends pour éliminer ta graisse ?"
Dmitrii bondit sur Senjou et l'entraîna dans son mouvement pour lui éviter... Les désagréments qu'auraient pu lui causer ces énormes et menaçantes stalactites. Les adolescents firent un roulé-boulé qui entrerait sûrement dans l'histoire, vu le nombre de "Aïe" et de "Crac" sonores qui se firent entendre. Dmitrii se releva péniblement au-dessus de son compagnon blessé. Ses muscles s'étaient développés lors de son bond et le résultat était assez dérangeant à observer : son corps n'était transformé que par endroits et sa peau semblait peiner à contenir tout ça.
"Quelle graisse ?" cracha le garçon aux cheveux blancs en faisant face à l'ensemble de cristaux qui avait trouvé une nouvelle cible.
Il fit craquer son cou et le développement de son corps s'égalisa, lui donnant seulement une musculature développée et une fourrure naissante.
"Cette forme est inconfortable... critiqua un diablotin.
- J'aime pas non plus.
- Tu pourras pas la garder indéfiniment, elle est fatigante.
- Je sais, mais face à ça, le félin... je le sens pas."
Il sortit son glaive et s'élança vers la glace. Celle-ci fit de même et un étrange combat commença. Les pics de glace étaient terriblement tranchants et le corps du garçon fut vite en sang. Il était parvenu à briser de la glace mais les cristaux plus petits étaient tout aussi redoutables.
Le garçon continuait son combat quand son regard passa sur Senjou, qui se remettait de sa blessure et de sa chute. Un pic de glace menaçait de lui tomber à nouveau dessus.
"Senjou !!!! Bouge !!!" hurla Dmitrii.
Déconcentré un instant, l'adolescent aux cheveux blancs ne put esquiver un éclat de glace qui vint se planter son flanc gauche. Il rugit de douleur et fixa alors le bloc de glace avec haine. Il s'arracha la peau du corps, découvrant une fourrure épaisse, et planta ses griffes acérées dans la glace, la faisant voler en éclats, qui ne cessaient de se rassembler pour reconstituer un bloc.

- Senjou ! Bouge !
Le blondin obéit par réflexe, et bondit en avant, esquivant le pieu gigantesque. C’est au moment où il voulu se réceptionner en une roulade avant qu’il remarqua à quel point le sol était devenu glissant… Senjougahara se redressa, et observa la scène.

La stratégie pour battre ce monstre ne semblait pas évidente.
D’un côté, il fallait éviter les stalactites qui fusaient des murs.
D’un autre, il fallait éviter l’un des huit blocs de glace pointus qui voletaient autour de la base centrale, et qui se laissaient lourdement tomber sur le sol au moment le plus importun.
Et enfin, il fallait gérer le fait que ces huit blocs se reconstituaient plutôt rapidement.

Cependant, les blocs reconstitués restaient fragiles, dans la mesure où la glace ne se ressoudait pas complètement.
Quant à la forme centrale, elle flottait implacablement au milieu de ce superbe ballet.

Senjougahara écarquilla les yeux.
- T’acharne pas sur les blocs de glace ! C’est le truc qui ressemble à une stèle qu’il faut toucher ! Cria alors le blondinet, en faisant jouer le régulateur de puissance de la Clé Ailée d’Or.
Il tenta de viser, mais l’un des huit blocs de glace se plaçait systématiquement sur sa trajectoire.

- Dimitri ! Lança Senjou, lorsqu’il rejoignit enfin son compagnon, lequel s’acharnait encore contre les stalactites et les blocs. Je vise la base, quand un bloc se met devant, dégage-le !

Sur ces mots, le jeune homme visa, et tira un puissant Rayon d'Énergie ; comme prévu, un bloc de glace vint flotter devant la base. Mais sans doute le gros félidé pouvait-il, avec assez d’élan, le dévier de sa trajectoire…

L'animal bondit sur le bloc de glace qui protégeait la stèle du Rayon d'Énergie de Senjou. Il s'éclata bruyamment dessus, le projetant un mètre plus à droite. Cela permit au Rayon de frapper la stèle, tandis que Dmitrii s'effondra sur le sol en glissant du bloc de glace. La bête reprit alors forme humaine en convulsant.
"Eh ben, on est sacrément amoché...
- Tu penses vraiment qu'à ta gueule ! critiqua un diablotin.
- Roh, ça va, soupira l'adolescent.
- On a mal aussi, je te signale !" dit un diable.
Le garçon se ficha une claque sur l'épaule, gémit et resta ainsi allongé à cause de la douleur des blessures infligées par la glace.

Décidément, l’espérance de vie de mes compagnons laisse franchement à désirer, songea Senjougahara en voyant Dmitrii se tordre de douleur sur le sol.
Cependant, la superbe attaque du fauve avait indéniablement permis au Rayon d’Énergie d’atteindre la stèle, et de l’abîmer plutôt sérieusement.

Cette agression eut pour effet de fâcher d’autant plus la créature de glace – si tant était qu’elle éprouvait des sentiments. Cette dernière regroupa alors tous ses pieux au-dessus de l’adolescent  aux cheveux miel, et se mit à les laisser tomber, lourdement et un par un, sur lui.

Senjougahara bondit en avant, évitant le premier des mortels blocs de glace ; un saut de côté lui permis d’éviter le deuxième, une glissade sur le sol verglacé lui épargna une mort douloureuse sous le troisième. Toujours emporté par son élan, le jeune homme planta son Coutelas dans la glace pour effectuer un virage serré, et reparti en direction du félidé blessé.
Chaque martèlement sur le sol lui secouait le cœur, et lui rappelait que les pieux tombaient de plus en plus rapidement.
La panique crût lorsque Senjougahara s’aperçut que la créature ne se contentait pas de laisser tomber ses pieux, mais qu’elle les rappelait à elle avant de les renvoyer à l’assaut.

Il n’allait pas tenir longtemps ainsi, et surtout pas sur un sol aussi instable. Soudain, un pieu s’effondra au-dessus de Dmitrii. Senjougahara activa alors la Clé…

Le pieu n’atteignit jamais Dmitrii, car il s’engouffra dans un portail qui s’ouvrit brutalement.
Dans le même temps, un portail jumeau apparut sous le plafond, et en laissa sortir le pieu.
Lequel termina sa chute sur la Stèle.

Le choc fut rude ; les deux blocs de glace s’effondrèrent. Senjougahara enfonça alors une Gemme d’un orange soutenu dans son arme, arma la Clé Ailée d’Or, poussa le Régulateur à fond, et visa.
- Hasta la vista… Baby ! Fit-il, avant de décocher un Rayon d’Énergie surpuissant. La Gemme fondit instantanément, tandis qu’un trait crépitant et lumineux, tel une lance d’or liquide, fusait de l’arme.
La puissance fut telle que Senjougahara fut catapulté en arrière, et alla s’écraser sur Dmitrii.

La créature de glace, fragilisée et sans défense, vola en éclats, dans un fracas de fragments de glace tranchants ; les deux adolescents n’eurent que le temps de se jeter au sol pour éviter les cristallins projectiles.
Lorsque le déluge cessa, Senjougahara ouvrit les yeux ; au centre de la pièce, la créature n’était plus qu’un tas de poudreuse.
- YAHOU ! Hurla alors le jeune homme en se redressant d’un bond. Hey, on a réussi ! Dimitri, on a réuss…
Un craquement sourd l’interrompit alors. Senjougahara balaya la scène du regard ; comme un mauvais rêve, un mauvais souvenir, les murs se craquelaient, se fissuraient, s’effritaient. Les craquelures coururent, s’élargirent, atteignirent le plafond. Et, en une parfaite apothéose, la salle s’effondra sur les deux adolescents.

Thème musical ♪ Escape:

Mû par l'adrénaline pure, le corps de Senjougahara réagit sans l’accord de son cerveau : sa main empoigna Dmitrii par le col et le força à se relever ; ses jambes s’activèrent. Et bientôt, l’adolescent aux yeux délavés se mit à courir.
Mais ses petites jambes humaines étaient loin d’être aussi rapides que les milles marteaux de l’éboulement.

Dmitrii était carrément sonné et il avait mal partout. Alors, quand il sentit son col se faire violemment tiré par un gamin aux cheveux dorés, l'adolescent presqu'à poil se sentit un peu déboussolé. Il s'était jeté au sol quelques instants plus tôt par réflexe, mais il restait un peu perdu. Il avisa la pièce qu'ils laissaient derrière eux dans leur course. Le plafond s'effondrait littéralement, détruisant tout ce qui était en-dessous. Dont eux. Eux ? Ouais, ça y est, Dmitrii remettait son compagnon. Il retrouva soudainement ses esprits quand il sentit un éclat de glace froide lui frôler le dos.
"Iiiiih ! fit-il.
- On va pas assez vite, coco ! critiqua un diable.
- Ah, vous êtes là, vous ? murmura Dmitrii.
- Toujours, quand t'es en manque d'idées, pôv' crétin !
- Alors qu'est-ce que vous attendez pour m'en donner ?
- Ben, j'avoue que je sèche un peu, là... Ce serait tellement pratique si on pouvait se transformer en un bestiau méga rapide qui nous sortirait de cet enfer tout en étant assez puissant et gros pour transporter notre pote, là...
- Ah oui, c'est pas faux, ça..."
Senjou ne put bientôt plus rien tenir de son compagnon qui avait quadruplé de taille et ainsi arraché son col, qui était bien le seul vêtement qu'il restait au garçon. La bête fit un mouvement de tête qui projeta Senjou sur son dos. Elle accéléra alors sa course pour fuir la destruction progressive des ruines. Ses pattes dépassèrent leurs limites malgré les blessures, elles fendirent l'air et remontèrent les escaliers en un clin d'œil jusqu'aux couloirs. Puis dans un épatant élan, le fauve parcourut les boyaux qui s'éclairaient de plus en plus et les compagnons débouchèrent bientôt à la surface où le vent glacé leur emplit les poumons. Les ruines souterraines continuèrent de s'effondrer et l'entrée des catacombes fut rapidement encombrée.
Cependant, ils semblaient ne plus rien avoir à craindre à la surface. Le fauve avisa leur environnement et vit un de ses sacs - que la neige avait commencé à recouvrir - qu'il avait lâché dans sa chute et qui était donc resté hors des catacombes. Dmitrii reprit alors forme humaine dans un soupir, prit une étoffe dans ce sac et s'enveloppa dedans - dissimulant son corps, certes petit, mais bien sculpté - en frissonnant.
"Bon, ben... Aoutch... Euh... Rien de cassé ?" demanda-t-il à son camarade.

- Bon, ben... Aoutch... Euh... Rien de cassé ?
Senjougahara se retourna vers son compagnon, encore sonné. Ces yeux étaient un étrange cocktail de sensations difficilement déchiffrables, et pour la plupart inexplicables.
Il y avait le choc de s’être pris le plafond sur la tête, c’était évident.
Il y avait également la surprise d’être encore en vie et dehors.
Il y avait la douleur due aux blessures et aux contusions qui revenait doucement.
Il y avait l’ivresse de l’adrénaline, ou plutôt ce qu’il en restait, et l’égarement qui y succédait.
Il y avait la satisfaction et la fierté, toutes deux provoquées par le formidable combat.
Il y avait aussi l’étrange amertume, comme une certaine frustration.
Et il y avait, aussi, l’incompréhension et l’hilarité dues à la nudité de Dmitrii et à la nervosité.

Senjougahara laissa finalement ces deux dernières émotions s’exprimer dans un grand éclat de rire.
- Ah, désolé, mec… Lâcha-t-il, entre deux crises de fou-rire. C’est plus fort que moi, je… Je… Le blondin parvint finalement à se calmer, et dit, d’une voie posée : merci.
Ses yeux étaient redevenus sérieux et grave, en disant ces mots. Pendant quelques instants, son regard fut si intense, si profond…
Quelque chose venait de se nouer. Quelque chose venait de se construire. Senjougahara devait la vie à Dmitrii.
Les deux s’étaient sauvés l’un l’autre, et avaient frôlé la mort ensemble.
Quelque part, Senjougahara savait que, quelqu’un prêt à donner sa vie pour lui était quelqu’un sur qui il pouvait compter.

Cette minute de gravité passée, Senjougahara repartit d’un grand rire, mû cette fois par le soulagement et, toujours, le comique de la situation :
- Purée, on l’a échappé belle ! Ah la vache, on a failli y rester, hey ! Le regard de Dmitrii finit par lui faire reprendre son sérieux. Enfin bon… T’as l’air de te les cailler un peu, alors que dirais-tu filer dans un endroit plus chaud ?
Et, ayant dit ces mots, il lança une potion à l’adresse du jeune homme aux yeux dorés. Elle ne suffirait pas à soigner toutes ses plaies, mais elle pourrait sans doute lui rendre un peu de force, et refermer les blessures plus profondes.

Senjougahara éclata de rire. Deux fois. Après la première, Dmitrii eut du mal à se retenir aussi jusqu'à ce qu'une douleur dans les côtes l'en dissuade vivement. Puis, l'adolescent blond remercia son compagnon. Ce dernier se décrispa et eut un léger sourire. Senjou était peut-être chiant, mais on se sentait bien avec lui. Pas de tabou. Pas de honte. Pas de règle. C'est pour cela que Dmitrii avait quitté sa demeure. Il l'avait trouvé.
Le garçon aux cheveux de miel éclata de rire une seconde fois. Dmitrii se demanda cette fois s'il ne se moquait pas de lui et son regard se durcit, faisant cesser le rire sincère de Senjou. Ce dernier lança une fiole à l'adolescent aux cheveux blancs pour qu'il la boive avant de se mettre en route vers un endroit plus... Chaud.
Dmitrii avala la potion sans poser de question, ce qu'il remarqua une fois la fiole vide. Où est passée ta méfiance naturelle ? Dmitrii ferma les yeux un instant en sentant son corps revitalisé. Plus besoin avec lui. Il observa ses blessures qui semblaient déjà moins profondes et lança à son ami :
"Merci ! Alors, on se trouve un coin à l'abri du vent ?"
Il entama la marche dans le reste des ruines. Le froid commençait à devenir plus mordant. Ils marchèrent un moment jusqu'à un reste de bâtiment fermé, abritant du vent glacé qui s'intensifiait.
Dmitrii s'arrêta là et se mit à frictionner ses membres. Il ouvrit son sac et y chercha des vêtements ou des chaussures, mais il n'en contenait pas. Tout ce qu'il y avait, c'était quelques vivres, un carnet, l'artefact qu'il avait volé à ses parents, un couteau, une étoffe assez épaisse et un court morceau de fourrure. Juste de quoi s'orner les épaules. Il sortit l'étoffe et la fourrure et commença à les préparer pour s'en faire une cape.
"Brrr... Ça te va, ici ?"

Les deux adolescents se trouvèrent tant bien que mal un abri dans la tourmente glacée. Dans leur fuite, Senjougahara avait perdu son manteau de fourrure, et le froid commençait à lui brûler les doigts et lui crisper les muscles.
En fait d’un endroit chaud, Senjougahara pensait plutôt à un autre monde, une autre terre ; mais la Clé Ailée d’Or était à plat, et l’adolescent aux cheveux miel n’avait pas de Gemme sous la main. C’était tragique, pour un garçon si insouciant et si tête-en-l’air, d’être en possession d’une arme qui nécessitait un entretien si minutieux.

- Il faut faire du feu, on va mourir de froid, sinon, fit le blondin, tout en cherchant du petit bois.
Alors qu’il tentait d’oublier la morsure du froid sur sa chair nue, Senjou se mit à penser à l’étrange autel trouvé dans les ruines.
Il avait trouvé la Clé dans un temple sur Etherrance. Il avait trouvé la notice de l’arme dans un autre temple à Port Royal. Il avait trouvé un nouvel autel ici, peut-être dans les ruines d’un troisième temple ? La Clé Ailée d’Or était-elle par conséquent un objet sacré ?
Et puis il avait trouvé des pièces de Clé un peu partout à travers les mondes qu’il avait visités : la Cité du Crépuscule, le Château de la Bête, la Ville de Traverse… Mais pourquoi diable la Clé était-elle ainsi démantelée ? Et pourquoi les pièces étaient-elles éparpillées ainsi ?
Et cet homme, Slavieus… Il connaissait l’existence des Pièces, puisqu’il en parlait dans son journal ; sa notice était très fournie, même si elle avait le don d’irriter les yeux et les nerfs de ses lectures. Mais le rédacteur avait-il voyagé à travers les mondes, lui aussi ? Avait-il connu la Clé lorsqu’elle était complète ? Avait-elle seulement déjà été complète ? Et est-ce que Slavieus était venu, lui aussi, en ces lieux si reculés ? Pourquoi avait-il abandonné la notice derrière lui ?

- C’est quoi, ça ? Cette question balaya toutes les autres. Senjougahara, en cherchant de quoi faire un feu, était tombé sur l’artefact de Dmitrii, et le fixait avec circonspection. C’est pas un briquet, des fois ?

"C'est à mes parents. Je leur ai... Emprunté. C'est un artefact qui permet de se téléporter, alors, j'ai été tenté. Tout ce que je voulais, c'était partir, justement. Pour parcourir le monde, pour vivre des aventures..., la voix du garçon tremblait d'émotion et la sincérité mêlée à une joie de liberté transparaissaient tellement dans ses mots que l'on n'avait pas envie de le couper, Et pour le moment, j'ai plutôt bien été servi, aha ! Mais bon, je le manie pas très bien, la magie, c'est pas mon truc. Enfin, ça dépend laquelle, quoi. Mais j'ai un peu du mal avec celle-ci. Je pense à un endroit en déplaçant le cadran, sur la droite et puis, je me retrouve... Autre part !" dit-il avec un singulier sourire rêveur.
Dmitrii était taciturne par habitude. Mais il avait envie de parler à ce moment-là. Peut-être pour oublier le froid. Il continua :
"J'y pense, t'as l'air de manier la magie, nan ? T'envoyais de sacrés rayons tout à l'heure ! Tu t'en sortirais peut-être mieux que moi avec ce bitoniau ! Une fois, je me suis retrouvé dans un arbre... Tu pourras pas faire pire !" rit-il.
Dmitrii était méfiant par habitude. Celui ou celle qui oserait prétexter le froid pour expliquer le comportement de l'adolescent serait de mauvaise foi. Senjou était la cause de bien des choses.

- C'est à mes parents. Je leur ai... Emprunté. C'est un artefact qui permet de se téléporter, alors, j'ai été tenté. Tout ce que je voulais, c'était partir, justement. Pour parcourir le monde, pour vivre des aventures…
Senjougahara observa le jeune homme dans un silence religieux. Oh oui, il connaissait ça. Il n’aurait jamais pensé que Dmitrii puisse avoir une histoire aussi similaire à la sienne ; après tout, le jeune homme à l’écharpe écarlate n’avait-il pas emprunté un vaisseau de son père pour partir ? Et n’était-il pas parti pour des raisons identiques ?
Une soif de liberté, et un refus catégorique d’obéir à ses parents ; telles étaient ses motivations.

Jusqu’à présent, Senjougahara n’avait rencontré que des personnes (ou presque) qui se cherchaient une famille, qui voulaient l’intégrer dans leur famille, ou alors, dans le cas d’un refus, qui lui reprochaient son manque de responsabilité. Mais le jeune homme aux cheveux miels n’y pouvaient rien : il ne voulait pas qu’on l’entrave, il ne voulait pas d’une famille. Il voulait vivre à fond, se gorger d’aventures, frôler la mort, aller dans l’extrême, combattre, explorer, vivre…
Et aujourd’hui, il se rendait compte qu’il n’était plus seul.

Brutalement, il se rendit compte que Dmitrii n'était plus le guide con et taciturne, ou même le compagnon de route un peu gênant. Brutalement, le jeune féliforme était devenu... autre chose que Senjou ne pouvait définir. La chose était totalement nouvelle : il ne s'agissait pas d'un petit être à protéger, de quelqu'un pour qui l'on s'inquiète, ni d'un être que l'on rencontre mais qu'on oublie dès que l'on change de monde.
Ce n'était ni comme avec Nihal, ni comme avec Ishimaru et ses cousines, ni comme Chiyoko ou personne d'autre.

- … pense à un endroit en déplaçant le cadran, sur la droite et puis, je me retrouve... Autre part ! Continuait le polymorphe, en souriant rêveusement.Puis, soudain, il s’exclama : J'y pense, t'as l'air de manier la magie, nan ? T'envoyais de sacrés rayons tout à l'heure ! Tu t'en sortirais peut-être mieux que moi avec ce bitoniau ! Une fois, je me suis retrouvé dans un arbre... Tu pourras pas faire pire !
- Oh là, oh là, on se calme, coupa Senjougahara en levant les mains. Oui, la Clé Ailée d’Or faisait, en effet, des choses qui s’apparentaient à de la magie. Mais de là à clamer que l’adolescent aux cheveux miel savait la manier comme Mélodie ou Nihal…
Et pourtant, il était vrai que Senjou commençait à avoir l’habitude des artefacts magiques : le Coutelas-broche, comme son nom l’indiquait, était une simple broche pouvant se changer en arme. La Clé Ailée d’Or possédait peut-être un mécanisme, mais son fonctionnement devait être magique.

Alors, après tout… pourquoi pas ?
- Dans un arbre, tu dis ? Releva Senjougahara, tout en prenant l’artefact. Ça doit pas te poser trop de problèmes, en tant que chat, non ? Il remballa leurs affaires, et posa sa main sur l’épaule de Dmitrii ; il supposa qu’ainsi, il pourrait les téléporter à deux. En général, ça marchait ainsi. Enfin… il supposait.
Il poussa le cadran vers la droite.

Dans la minute qui suivit, les ruines furent totalement vides de toute présence.

[Fin, la suite ailleurs ! ]