[Tour Mystérieuse] L'Arrivée [solo]

Le ciel était déjà assombri par la tombée de la nuit, et pourtant l’horizon flamboyait encore au loin. Sous mes pieds s’étendait un océan de nuages orange, dans mon dos se dressait une immense et torse tour décorée d’étoiles et de lunes.
J’étais en train de rêver. C’était la seule explication rationnelle à ma présence en un lieu aussi… magique.
J’étais sur une île flottant au milieu du ciel !

Je m'approchai du bord, et jetai un regard vers le bas. Je me sentis aussitôt happé par le vide, et dus battre en retraite pour ne pas être envahi par le vertige. Si j’avais su que ce simple voyage en train m’entraînerait si loin…
Je reportai mon attention sur la tour. La « Tour Mystérieuse », la « Tour de Yen Sid »… Les mots sonnaient comme une promesse à mes oreilles.
Je refoulai mon appréhension, resserrai les pans de mon manteau autour de moi, et avançai vers la porte.
Je ne pouvais plus reculer.
Et, après tout, en avais-je seulement envie ?

- Bienvenue, Hel.
La voix, sèche et profonde, m’intimida. Je gravis les dernières marches et pénétrai dans la salle. Les murs y étaient percés de fenêtres en forme de croissants de lune et d’étoiles, donnant sur le ciel bleu nuit. Au fond de la pièce trônait un bureau auquel était assis un homme à la barbe épaisse et aux sourcils broussailleux. Vêtu d’une ample robe bleue et coiffé d’un chapeau pointu, il m’aurait probablement évoqué un magicien de fête foraine si son air n’était pas si grave et si sévère.

- Nous connaissons-nous ? Demandai-je, d’une voix calme et neutre en dépit des sentiments tumultueux qui agitaient mon âme.
Le magicien m’observa quelques secondes ; j’eus alors la désagréable impression d’être passé au rayon X.
- Alors c’est vrai, fit finalement Yen Sid, d’une voix plus douce. Tu as tout oublié.
Mille fois on m’avait fait cette remarque. Mille fois on m’avait adressé ce regard. Et pour la millième fois, je me sentis coupable, coupable d’avoir perdu la mémoire. Je gardai mon regard fixe et inexpressif, malgré l’envie pressante de baisser les yeux.

- Oui, nous nous connaissons, Hel ; nous nous sommes souvent rencontrés en rêve.
Je revins à moi. Cette réaction était pour le moins inattendue. Yen Sid reprit : puis-je voir ta Keyblade ?
Je l’invoquai. Puis je la lui tendis. Allais-je enfin avoir des réponses ? Allais-je enfin comprendre ? Mon cœur s’emballait et me faisait mal.
- « Rêveur Lucide », tel est son nom. Légère, puissante et aussi belle qu’elle ne semble fragile. La Keyblade est le reflet du cœur de son porteur, et de son foyer.
- Mon cœur est dégénéré et malade. Cette Keyblade ne peut m’appartenir.
- J’ai vu que ton cœur était malade. Mais il ne l’a pas toujours été.
Yen Sid se rassit, et m’indiqua une chaise de la main.
- À dire vrai, Hel, je ne te connais que très peu. Nous avons souvent conversé en rêve, car tu avais besoin d’aide pour apprendre à manier ta Keyblade. Ce n’étaient que des enseignements de quelques minutes, que je devais faire en hâte avant ton réveil… Ou que ton rêve ne change de nature.
- Comment avons-nous pu nous voir en rêve ? Fis-je en m’asseyant.
- « Rêveur Lucide ». Pourquoi penses-tu que ta Keyblade s’appelle ainsi, dis-moi ?
Le doute m’envahit, et un tic nerveux vint secouer ma paupière.
- Elle a changé, murmura le magicien, en tournant et retournant l’arme. Les Keyblades sont nombreuses, et possèdent également des pouvoirs spécifiques. La tienne, Hel, possède le pouvoir d’entrer dans les rêves et de les influencer. C’est ainsi que nous nous sommes rencontrés. Tu as su trouver mon rêve et t’y installer.
- Monsieur Yen Sid, fis-je alors, incapable de me contenir. Je suis perdu. J’ignore qui vous êtes. Pourquoi j’ai une Keyblade. Comment ai-je pu l’utiliser, depuis combien de temps je l’ai. J’ai perdu… Trois années de ma vie. Je suis venu vous demander votre aide. Votre prix sera le mien.
Les mots avaient jailli de ma bouche, et je n’avais eu aucune prise dessus. J’avais peur, je crois. Je n’en pouvais plus de me sentir aussi passif et inutile.
Je voulais reprendre les choses en main, et pour cela, il fallait que l’on m’épaule.

- Et, exactement comme la première fois que l’on s’est rencontré, je te répondrai que je ne souhaite pas être rémunéré, mais que j’accepte de t’aider, fit le magicien avec, de ce qu’il me sembla, la trace d’un sourire.  Je n’ai cependant aucune information sur ton passé, car nous n’avons jamais pris le temps d’en discuter, et que ton monde d’origine m’est… verrouillé, j’ignore pourquoi.
- Oh. Cela me fit étrange que l’on me parle de « monde d’origine ».
- J’ai cru comprendre cependant que tu étais souvent pressé, comme pourchassé par quelque chose. Te souviens-tu de cela ?
- Non.
- Nous allons donc tout reprendre à zéro, puisqu’il le faut. Parle-moi de ce que tu sais, et je vais compléter tes informations.

Ainsi commença notre conversation, la plus longue et la plus intéressante depuis que j’avais quitté l’hôpital…

… Et comme toutes les bonnes choses, elle fut interrompue trop vite, trop brutalement.
Yen Sid se leva, et regarda par la fenêtre d’un air méfiant.
- Que se passe-t-il ? M’enquis-je, inquiet à mon tour.
Il ne répondit pas. Ses sourcils broussailleux se froncèrent davantage. Je me levai et allai le rejoindre ; d’étranges nuages noirs étaient apparus à l’horizon, tranchant avec le doré du crépuscule.
- Qu’est-ce donc ? Demandai-je, en reportant mon attention sur le magicien. Celui-ci tourna alors vers moi des yeux effarés, lesquels me firent reculer de surprise.
- Tu ne dois pas t’attarder davantage ici, Hel, fit Yen Sid, en se penchant vers moi, ce qui eut pour effet de me faire reculer encore.
Quelque chose avait changé dans l’air. Et dans le sien.
- Mais que se passe-t-il ? Insistai-je, tout en tentant de maîtriser la panique qui croissait en mon sein.
- C’est à toi de me le dire, Hel, grinça alors le magicien, sans cesser d’avancer vers moi. Pars, pars maintenant, et ne te retourne pas ; quelque chose se prépare… Et tu ne veux pas être là lorsque cela explosera.
Mes yeux glissèrent vers la porte, cependant que mon souffle s’emballait. Son désir de me voir partir contrastait avec son attitude, laquelle m’évoquait plutôt celle d’un prédateur cherchant à coincer une proie.
- Mais je n’ai pas pu m’entraîner…
- Tu le feras. Tu as toujours procédé ainsi, que je sache : la théorie en rêve, la pratique dans le monde réel.
- Mais je ne suis pas en train de rêver… si ?
Son regard me réduisit au silence. Derrière lui, les nuages avaient pris de l’ampleur.
Mes jambes s’activèrent alors toutes seules. Elles gagnèrent la porte, ma main actionna la poignée, elles descendirent l’escalier. Les yeux du mage hantaient ma mémoire, tel deux marques au fer blanc sur ma rétine.
Comme un somnambule, je sortis. Je fus bientôt dans le train, sans trop savoir comment. Je m’approchai de la vitre, tentai de voir les nuages ; ces derniers avaient perdu leur allure gazeuse : leur consistance était désormais celle du goudron, et des éclairs zébraient, de temps à autre, leur lourd ventre luisant.
Il me sembla soudain que le train n’allait pas assez vite. Que je n’aurais pas le temps d’arriver chez moi. Je me levai, et voulu aller à la voiture de tête.
Un hurlement, chargé de haine et de rage, retentit alors :
- HEL, QU'AS-TU FAIT ? !
Mes tympans explosèrent, tout comme les vitres. Je fus projeté contre le mur, la douleur me vrilla l’épaule gauche. J’entendis siffler une sirène au fond de mon crâne.

Puis je repris connaissance ; le mur contre lequel j’étais appuyé était mou sous mes doigts. Je le repoussais, et me sentis tomber vers le sol… qui ne vint pas. Il me fallut quelques secondes pour comprendre que ma « chute » m’avait mis en position assise, et que le mur que j’avais quitté était en réalité le sol.
Le matelas.
Je fixai stupidement le mur. Puis mon réveil. Les chiffres bleutés m’indiquèrent 4 :14.
Je me laissai retomber sur le sommier, la main sur le cœur, épuisé.
Épuisé et terriblement perdu.


[Fin de ce RP]